Le Grand Oral : contrainte ou opportunité ?
- Sabine Laurent
- 24 févr.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 juil.
Introduit en pleine pandémie lors de la session 2021 du baccalauréat, le Grand Oral portait une ambition forte : remettre l'art oratoire au cœur de l'éducation française. Alors que l'oralité avait progressivement disparu des épreuves scolaires au fil du XXe siècle, cette nouvelle évaluation promettait de doter chaque bachelier d'une compétence précieuse pour ses études supérieures et sa vie professionnelle.
Derrière cette idée séduisante, le Grand Oral suscite pourtant de nombreuses interrogations. Est-il réellement accessible à tous ? Évalue-t-il la pensée critique ou favorise-t-il seulement les plus à l'aise à l'oral ? Y est-on finalement bien préparé ? Cela apporte-t-il une réelle compétence aux jeunes qui le passent ?
L'objectif initial était d'offrir à tous les élèves la possibilité de s'exprimer avec aisance, indépendamment de leur origine. Cyril Delhay, professeur à Sciences Po et initiateur du Grand Oral auprès de l'État, mettait en avant cet argument de démocratisation. Pourtant, cette épreuve révèle bien souvent des inégalités culturelles profondes. Certains lycéens ont grandi dans des familles où le débat et l'argumentation font partie du quotidien. D'autres n'ont jamais eu l'occasion de s'exprimer en public ou d'être confrontés à des discussions structurées. Ceux qui maîtrisent déjà les codes de l'éloquence ou qui sont d'une nature extravertie peuvent se trouver avantagés, tandis que d'autres se retrouvent paralysés par le stress et le manque de préparation.
Le philosophe Mathias Roux pointe par ailleurs un paradoxe dans cette épreuve : si la forme prend le pas sur le fond, elle pourrait favoriser les élèves les plus habiles à séduire leur auditoire, au détriment de la solidité du raisonnement. Un discours fluide mais creux peut-il être mieux noté qu'un propos riche mais hésitant ? Dans un monde où l'image et la communication prennent une place croissante, cette question dépasse le cadre scolaire et peut effectivement interroger.
Par ailleurs, l'enjeu de cette épreuve ne réside pas seulement dans l'évaluation, mais également dans la préparation. Or, les enseignants n'ont généralement jamais été formés à l'art oratoire. Parler avec aisance en public s'acquiert avec un entraînement spécialisé et un accompagnement personnalisé. Le système éducatif, déjà sous pression, dispose de peu de temps pour un tel apprentissage. Si certains établissements font appel à des experts extérieurs, cette approche reste minoritaire. Former à l'oral nécessite des ressources, du temps et des méthodes adaptées. Sans cela, l'épreuve risque d'être perçue comme une contrainte supplémentaire plutôt qu'une opportunité réelle.
Le Grand Oral ne semble donc pas une solution miracle, mais on peut reconnaitre qu'il ouvre malgré tout une porte vers la prise de parole, compétence clé pour l'avenir des jeunes. Il réintroduit l'idée que bien présenter une idée, un cheminement de pensée, un argumentaire est grandement nécessaire. Cela était déjà le cas auparavant avec les oraux classiques mais on y a apporté l'idée d'évaluer également la forme au-delà du fond et des connaissances académiques. Deux éléments sont essentiels pour le réussir : un accompagnement de qualité et une prise en compte des différences individuelles. Tous les élèves ne partent pas du même niveau, et un soutien adapté est généralement indispensable.
Faut-il alors repenser le Grand Oral ? Lui donner plus de moyens ? Mieux le préparer en amont, dès le collège ? L'observation de ces années déterminera si cette bonne intention pédagogique aura des effets positifs et arrivera à combattre les inégalités qu'elle souhaitait initialement réduire.
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