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Le Grand Oral

Tremplin vers l’éloquence ou épreuve inégale ?

Le Grand Oral

Introduit en pleine pandémie, le Grand Oral du baccalauréat avait une ambition forte : remettre l’art oratoire au cœur de l’éducation. Alors que l’oralité avait peu à peu disparu des épreuves scolaires au fil du XXe siècle, cette nouvelle évaluation promettait de donner aux élèves une compétence précieuse pour leurs études et leur vie professionnelle.

Mais derrière cette idée séduisante, le Grand Oral suscite de nombreuses interrogations. Est-il réellement accessible à tous ? Évalue-t-il la pensée critique ou favorise-t-il seulement les plus à l’aise à l’oral ? Et surtout, peut-il tenir sa promesse de démocratisation ?

L’un des objectifs affichés du Grand Oral était d’offrir à tous les élèves la possibilité de s’exprimer avec aisance, indépendamment de leur milieu d’origine. Pourtant, en pratique, cette épreuve met en lumière des inégalités profondes. Certains lycéens ont grandi dans des familles où le débat, la prise de parole et l’argumentation faisaient partie du quotidien. D’autres, au contraire, n’ont jamais eu l’occasion de s’exprimer en public ou d’être confrontés à des discussions structurées. Cyril Delhay, professeur à Sciences Po et défenseur du Grand Oral, y voyait un levier de démocratisation. Mais le constat est sans appel : ceux qui maîtrisent déjà les codes de l’éloquence sont avantagés, tandis que d’autres se retrouvent en difficulté, parfois paralysés par le stress et le manque de préparation.

Au-delà des écarts liés aux parcours individuels, une question fondamentale se pose : le Grand Oral évalue-t-il réellement la capacité à argumenter ou met-il en avant ceux qui excellent dans l’art de la rhétorique ? Le philosophe Mathias Roux pointe un paradoxe : si la forme prend le pas sur le fond, cette épreuve risque de favoriser les élèves les plus habiles à séduire leur auditoire, au détriment de la solidité du raisonnement. Un discours fluide, bien structuré, mais creux, peut-il être mieux noté qu’un propos riche mais plus hésitant. Dans un monde où l’image et la communication prennent une place croissante, cette question dépasse le cadre scolaire. Quelle place donner au contenu face à la performance ?

L’enjeu du Grand Oral ne réside pas seulement dans son évaluation, mais aussi dans la manière dont il est enseigné. Or, beaucoup d’enseignants eux-mêmes n’ont jamais été formés à l’art oratoire. Parler avec aisance en public est une compétence qui s’acquiert avec de l’entraînement et un accompagnement personnalisé spécifique. Or, le système éducatif français, déjà sous pression, ne laisse que peu de temps pour un tel apprentissage. Si certains lycées font appel à des experts extérieurs pour préparer leurs élèves, cette approche reste minoritaire et pose des défis budgétaires. Former à l’oral nécessite des ressources, du temps et des méthodes adaptées. Sans cela, l’épreuve risque d’être perçue comme une contrainte supplémentaire plutôt qu’une véritable opportunité.

Le Grand Oral n’est donc pas une solution miracle qui transformerait chaque élève en orateur accompli. En revanche, il ouvre une porte vers la prise de parole, compétence clé pour la suite du parcours des jeunes. Deux éléments sont cependant essentiels pour garantir son efficacité : un accompagnement de qualité et une prise en compte des différences individuelles : tous les élèves ne partent pas du même niveau, et un soutien adapté est indispensable pour ne pas creuser davantage les inégalités.

Faut-il alors repenser le Grand Oral ? Lui donner plus de moyens ? Mieux le préparer en amont, dès le collège, pour ne pas le transformer en épreuve élitiste ?

L'art de communiquer

Sabine LAURENT

L' art de communiquer

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